Bonjour à tous les chasseurs sous-marins

Voici le petit récit de mon séjour à SYPHAX en ALGERIE du 6 au 13 juin 2004


Petit déjeuner pris avec Henri dans la quiétude matinale rythmée par le bruit des vagues, face à une mer apaisée et sans houle, après la tempête de la veille. La présence du soleil fait éclater toutes les splendeurs sauvages dans cet endroit encore préservé.
Pour s’y rendre, nous avons pris le TGV de Montpellier à Marseille et une navette jusqu’à Marignane puis un Boeing 727, survolant la grande bleue et longeant les côtes espagnoles avec une vue sur la Sierra Nevada vraiment magnifique. Arrivés à Oran, un petit comité nous attendait et Meknaci Kouieder, chauffeur d’ambassadeur nous conduisit au garage où nous récupérâmes la voiture d’Henri.
Après les formalités faites dans l’heure, nous voilà partis sur la route Ben Bella qui nous amène d’Oran, ville en pleine évolution, sale, bruyante et polluée, que nous nous dépêchons de quitter, jusqu’à Beni-Saf près de la frontière marocaine.
Nous passons devant quelques lieux particuliers comme l’auberge natale de Patrick Bruel, le petit village de Misserghin du père Clément, inventeur de la clémentine et surtout le site de la bataille d’Isly où le Général Bugeaud a conquis l’Algérie et où l’Emir Abdelkader s’est rendu et a pris la nationalité française. Cette route bordée d’arbres odorants et recouverts de chaux, serpente dans une campagne de champs de blés et d’oliviers aux collines crevassées par l’érosion.
Ça y est, nous sommes installés dans une maisonnette avec vue imprenable sur la mer. L’accueil ici n’est pas un accueil, c’est une assimilation et je me sens assimilable.

Lundi 7 juin. Retour de chasse, trois coups d’arbalète et trois poissons, deux petits sars et un loup. Après la tempête de la veille donc, la visibilité est moyenne mais les loups sont là dans peu de profondeur, sur des fonds de roches, de sable et d’herbiers de posidonies en bonne santé.
Au menu du jour : poissons frais ! Après avoir vidé les poissons, on s’octroie un petit encas constitué de raisins secs, de dattes, de pruneaux avec du bon lait et du petit lait.
Henri n’arrive pas à se connecter avec son téléphone portable. Il me dit qu’on est isolé du monde et je sens une pointe d’ironie dans son propos.
Voilà, le repas est terminé. J’ai fait un tajine de poissons au lait et au beurre. Henri part digérer en marchant, mais avant, se retournant il me dit : « - Tu sais, elle me manque trop. » Je lui demande qui ? Il me répond : « - Claire Chazal. » Quel comique ! Je rigole ! Anecdote : la télé dans le salon ne fut jamais allumée pendant tout le séjour.
Le programme de l’après-midi commencera par une sieste suivie de … on verra bien ! Pendant la sieste, je n’arrive pas à dormir, je fais des étirements et je médite en position du Lotus. Nous buvons une chicorée avant d’aller faire du repérage. Un peu plus tard, retour de chasse avant la nuit et Henri a fait deux petits mérous. Ne riez pas, ça compte quand même ! J’ai vu une grosse queue rentrer dans un trou et Henri a entendu du bruit ; il pense que c’était un mérou mais moi je crois qu’il entend des voix car je suis toujours à me répéter, même quand il est équipé de son sonotone !

Mardi matin. Sortie repoussée du zodiac pour raison de temps menaçant et de houle résiduelle rendant la mise à l’eau impossible. Voilà la pluie qui fait son numéro, elle aplatira la mer et après le beau temps arrivera. Inch’ allah ! Au fur et à mesure la contemplation prend le dessus sur l’écriture et je me laisse envahir par la quiétude du lieu. C’est le temps et la place des vacances.
12 heures 30. Retour de chasse infructueuse.
13 heures 30. Fin du repas constitué de mérou et de badèche sur lit d’oignons, à l’étouffée, avec pour tout couvercle, un sac d’emballage de chips, agrémenté de spaghetti. Ham Doullah, merci, petit Jésus ! Même le chien se régale du poisson qu’il dissèque chirurgicalement. Henri l’a baptisé Tonton Christobal mais il s’appelle Pipo. Je dis qu’il est croisé avec un ours blanc. Il est venu à la chasse avec nous et il nageait dans nos palmes, Nadin kelb !!
En faisant la vaisselle, nous avons inventé un gant grattant que l’on a baptisé le « sponsyphax ».
17 heures. Nous avons été faire des courses à BENI-SAF, le village voisin. Nous nous sommes ravitaillés en fruits et légumes, pâtes, riz, et des œufs qui n’ont pas résisté au voyage du retour et qui ont constitué une omelette accompagnée d’une salade cuite d’oignons et de poivrons piments revenus au petit lait et parsemée de coriandre, persil, menthe et ail frit. Le dessert, des nèfles juteuses et fraîches. Un vrai régal ! La soirée fut calme et l’extinction des feux peu tardive.

Mercredi matin. Le petit déjeuner fut apprécié, il était constitué de notre ami Ricoré, toujours à l’honneur sur notre table et d’une assiette de riz au lait à la confiture d’orange nappée de caramel et d’une pomme. Doucement, nous nous préparons à aller à la chasse et nous espérons sortir bientôt en Zodiac. Notre sortie chasse de deux heures ne m’a pas permis de ramener du poisson mais Henri a accroché à sa ceinture, deux beaux balistes qui constitueront le prochain repas. Quand à notre dejeuné, il est constitué de pâtes à l’ail et aux oignons avec des poivrons piments. Nous le partageons avec nos amis Mohamed et Amine. Après une petite sieste, nous dégustons notre boisson favorite : le sirop syphax. C’est une boisson chaude d’infusion de feuilles de menthe avec un peu de confiture d’orange.
14 heures 30. Cet après-midi, je retourne à la chasse, un voile fantomatique venant de la plage avance sur nos zones de chasse porté par un courant d’est. Je décide d’aller retrouver un banc de poissons style barracuda. Ce matin, m’acceptant comme l’un des leurs, les survolant, ils se sont écartés d’un coup, me laissant face à face à un loup que je n’ai pu viser. Dommage ! Ce brouillard marin, enfin sous-marin, est propice à l’approche, la rendant moins voyante. Mais je renonce à rester sur ces lieux parce qu’il n’y a plus de visibilité alors je fais demi tour, toujours accompagné de mon fidèle ami à quatre pattes qui ne me lâche ni d’une semelle ni d’une palme ! C’est un chien de chasse pour aller à la pêche !! Il empêche les vagues de monter sur la grève, leur courant après en sautant sur le sommet de la plus haute, happant l’écume en aboyant.
Ça y est, le repas du soir a été mangé. Le menu était constitué de balistes et vieille au barbecue, accompagnés d’une salade de crudités faite de concombres, oignons, tomates, persil, coriandre, ail, pommes et feuilles de menthe.

Nous voilà maintenant chez Amine pour la soirée et nous racontons des histoires de pêche et de plongée en écoutant de la musique Chaouïya. La maison d’Amine, tu ne peux pas rêver mieux ! C’est la dernière, au bord de la falaise, avec une vue imprenable sur la mer. Là, il devient ermite mais quelque peu taciturne. « Attends, je t’explique la situation ». C’est comme ça qu’il commence ses discussions, parce qu’il aime bien discuter et, s’il le fait, c’est qu’il se sent bien en ta présence. Alors il t’explique ce qu’est sa vie et ce qui s’y passe, je prends beaucoup de plaisir à l’écouter.

Jeudi matin. Retour de chasse, et c’est une sortie qui compte, celle de mon premier mérou. Nous voilà après le repas fait des restes de la veille, encore meilleurs aujourd’hui, à siroter notre ami Ricoré comme de vieux « grabamers » ce qui est pareil que des « grabaterres » avec le roulis en plus.
Voilà, le repas du soir s’achève avec nos amis chasseurs venus d’Oran passer le week-end arabe (jeudi et vendredi). Ils viennent juste au moment du repas fait de poissons au barbecue accompagnés de poivrons verts grillés à la façon locale, c'est-à-dire nature, sans sauce, sans épices, juste nature, c’est tout . Les aliments sont si savoureux et si goûteux, qu’ils se suffisent à eux-mêmes. Pas d’alcool, pas de vin, rien pour altérer ces mets et ces moments de bien-être. Voilà, ils viennent d’arriver et ils sont déjà accaparés par la nature du site. Ils ont pris des photos et ils ont la lumière d’ici dans les yeux. Ici, la magie opère très vite mais ce n’est pas une magie, c’est simplement magique. Espérons que les conditions soient idéales, j’ai rendez-vous avec le roi mérou et j’espère être à la hauteur et faire la chasse de ma vie.

Matinée de vendredi passée à attendre les réparations et la mise à l’eau d’une embarcation. En attendant, nous chassons sur zone sans voir de poissons. Mes amis avaient renoncé et en ressortant de l’eau, le bateau arrive, alors j’embarque avec mes frères, et nous voilà partis sur une île où je fais une badèche et une dorade royale. Mais à part la vision furtive d’un gros mérou et d’une fouille minutieuse de son domaine, rien n’y fit. Le rendez-vous est raté, peut-être repoussé mais quelle joie intense de nager parmi tous ces poissons, surtout ce banc de barracudas que j’appelle mes copains. Ils évoluent dans le courant, n’ayant aucune crainte à mon égard, à peine dérangés par la nage saccadée de Pipo toujours partant pour une sortie chasse.
Je ressens encore le roulis du bateau et je suis ébloui par la vue de la mer sous le soleil. Je ressens la fatigue saine de ces six heures de chasse. Maintenant le calme intérieur s’installe, contrarié par l’agitation des vacanciers du week-end.
En allant sur une des îles nous avons vu un exocet (poisson volant) planant à vingt centimètres au-dessus des vagues. Je repense à ces deux barracudas dans le bleu comme deux vaisseaux des mers,à tous ces poissons entrevus, trop effrayés par ma présence et à tous ces mérous présents un peu partout sur ces côtes, à ces sars, loups et daurades, détalant au moindre de mes mouvements et qu’il faut savoir trouver et approcher.

Pour ce soir, finis les récits et place à la contemplation de cette nature si nature, locale, à vivre plus qu’à découvrir, à admirer plus qu’à regarder, à écouter plus qu’à tapager. Seul le bruit des vagues est ici présent, il rythme les hommes qui vivent ici.

Samedi matin. Fin du séjour à Syphax et jour des au-revoir. Oui? j’y ai trouvé des frères et le départ prévu va laisser des manques. Que Dieu veuille que je revienne. Inch’allah.
Place au déjeuner fait de pain perdu et à notre dernière sortie en mer avec pour objectif de couvrir l’extérieur de la zone de chasse. La forme est là, l’aisance de plus en plus facile, les connaissances du milieu de plus en plus accrues. La mer est calme ainsi que le vent, un courant d’est faible et un temps brumeux marquent les conditions du moment.
11 heures 30. Je prépare le repas. Au menu, daurade royale sur lit de pommes de terre et oignons. C’est notre dernier repas du séjour.
Le rendez-vous avec le roi mérou n’a été qu’une entrevue. Ce matin même, il était là à m’attendre, là où je ne l’espérais pas, couché sur un herbier de posidonies à se faire bronzer. Mais l’instinct du chasseur n’y était plus et tous les poissons aperçus n’ont pas été tirés. Il me restera la nostalgie de ce rendez-vous. Oui, le mérou est le roi des poissons pour un chasseur et j’aurai eu le plaisir d’en voir et d’en avoir eu un et de le savourer en bonne compagnie.
* * *
Atmosphère.
Atmosphère, atmosphère, oui et qu’elle atmosphère, ce site de Syphax !
Son petit paradis, comme dit Henri, aux falaises friables telles du pain d’épices.
Et cette sensation évidente que ce lieu ne veut pas se livrer entièrement, qu’il garde en réserve, et non par peur mais afin de préserver son identité profonde.

L’impression générale de ce pays, qui m’a vu naître, n’est ni bonne ni mauvaise.
Elle ne se traduit pas sur une échelle de valeurs, elle est toute autre. Elle est toute personnelle et révélatrice de toutes mes émotions. C’est un bouleversement total parce qu’il n’y a pas de règles pour définir ce que je ressens. Je n’ai simplement qu’à ouvrir les yeux, ouvrir le cœur et laisser venir.
Ce pays m’a fraternisé, il me familiarisera assurément.
Ici, j’appartiens à ce pays et à ses habitants pleins de générosité et d’affection.
Ici, je trouve la terre natale que je cherchais, la terre de mes origines, celles que je retrouve dans mes gestes, mes attitudes, mon caractère.
Oui, je viens d’ici et ici, je ne suis pas un étranger, je ne suis même pas étrange !
Ici, les habitants ne sont pas étonnés, ils ne s’intriguent pas de ma présence à leurs côtés.
Ici, je suis tel que je suis et pas comme je veux bien le laisser croire.
Ici, je n’ai qu’à faire la paix avec moi-même et oublier celui que je ne suis pas.
Ici, je peux devenir moins que rien, ce n’est pas un malheur, c’est une fatalité. Ça devait arriver, diront certains, plus ou moins fatalistes, presque résignés.
Maintenant, je pleure sur la terre des hommes, l’émotion de n’être seulement que terrien. Je viens de la terre et redeviens poussière. Poussière du désert comme matériau, pour faire la falaise et le sable chaud. Ici, j’ai l’impression d’avoir tout, en ayant presque rien. L’espace contient tout et tout lui appartient.
La mer, elle est là, elle se voit, elle se fait admirer, elle capte ton attention. Par le bruit de ses vagues, elle te tient éveillé, juste comme il faut, tout en douceur. Cette mer mystère, un peu effrayante par sa profondeur, par son obscurité, par ces masses étranges en endroits dispersés, par ces corniches hautes plus ou moins immergées, et par ces précipices et plus, ces abysses. Mais Dieu, qu'elle est belle avec sa chevelure de posidonies, coiffée par la houle ou bien le courant.
Cette mer étrange est si fascinante…
cette mer complice, cette mer nature et sans artifice.
Cette mer qui coule au fond de moi-même, qui comble ma joie, qui atténue mes peines.
La mer refoule mes mauvais penchants, mais elle refond ma personne double. Tout en rythme doux, ainsi elle transforme mon identité et mon sourire d’homme. Je n’ai rien à craindre, je n’ai rien à vaincre, la peur de mourir, la peur de finir, si je laisse en moi agir son pouvoir, elle m’inventera une plus belle histoire.
Cette mer qui m’offre ses secrets intimes, ses trésors cachés, ses beautés divines. Car la mer donne ce que l’on reçoit.
Ne sois pas farouche et approche-la. Pénètre en son antre et même au-delà, tu verras que Rome n’a pas cet éclat.
Cette eau qui transporte tes rêves d’antan, jouant à bercer ton corps d’enfant. Il est souple et plane au grès des courants, la poitrine pleine de souffle vivant.
Enfin, voici le moment du départ et je la regarde une dernière fois. Elle me fait un sourire plein d’émerveillement. Je ne suis plus le même, comme un peu différent!!!
Je me tourne vers elle à l’heure de l’adieu, victorieux, armé du fusil que je porte, afin d’ honorer ta grandeur et ta force, car je me sens héros, un peu carthaginois.
Je te salue, oh! roi Syphax, moi qui ai vécu un peu sur ton royaume magnifique.
Je souhaite à tout un chacun de connaître autant de joies qu’il m’a été permis de recevoir ici, parce que j’y ai vécu des moments de vie au-delà de mon rêve.
J’embrasse mes frères de cœur, Amine et Mohamed, et tous les autres, tellement pleins de chaleur et de générosité, eux qui m’ont rempli de bonheur et donné leur amitié.
Enfin, je te remercie, Henri Fermandez, instigateur de ce projet sans toi impossible.
Tu es exalté dans tes propos, dans tes histoires historiques, dans tes souvenirs si proches, si profonds, si précis, quelle verve racoleuse !
Tu es attentif aux gens et aux échanges culturels entre communautés.
Tu es le moteur de projets plus ou moins réalisables.
Tu as l’énergie qu’il faut, tu as la vivacité des beaux jours et la gaieté de tous les instants.
Merci pour ta gentillesse et ton amitié sincère.
Merci de m’avoir fait connaître l’Algérie, ce pays d’où je viens et où je reviendrais.



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Hé!CHOUF!


















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