En ce dernier trimestre de 1968, à Marseille
et au chômage, j'en eus assez de cette vie de chiens civilisés, du
pointage bidon à l' ANPE et l' APEC , créés seulement pour justifier des
emplois fictifs de fonctionnaires pistonnés, des queues interminables des
parias de la Société pour encaisser l'aumone des mains potelées et
laiteuses de prétentieux planqués! Je me dis alors que, puisque j'avais pu
vivre dans les pays africains, je pourrais aussi bien m'adapter à un
retour sur ma terre natale, bien qu'avec la propagande médiatique faite de
mensonges à l'usage des naifs, je l'eus cru étrangère à jamais. La seule
inconnue semblait être le travail, mais en avais-je seulement dans
l'Hexagone! Je sautais alors sur l'occasion d'une offre de Conducteur de
Travaux à la Socolon d'Alger, un an sous la baguette enchantée de Fernand
Pouillon, l'architecte réalisant des complexes touristiques à la gloire du
Président, tous des sites célèbres, tel que Club des Pins, Moretti, El
Rhiad, Sidi Fredj, Zeralda et Tipasa. Mais surtout j'avais le bonheur
de pouvoir reprendre ma saga de pêches là, oû je l'avais laissée, un
triste jour de 1964, reprise bien timide en fait, car la région d'Alger
m'était inconnue, les terrains comme les collègues mais non pas
l'atmosphère. Je mettais à profit les quelques temps de libre que me
laissait mon activité professionnelle pour tâter du méro du côté de Cap
Matifou, Ain Taya et Rocher Noir, ou plus loin du côté de Tipasa,
Cherchell et Dellys, ou encore plus loin Tighzit et Bejaia. Je retrouvais,
à Alger, Michel Ruis qui pêchait avec Hollicher, mon patron de la Socolon
ou bien avec Lahoubi, l'Algérien le plus connu en ce domaine. Ce que je
retiendrais de cette reprise de contact avec le paysage algérien, ce fut
les retrouvailles des grands espaces oû faire 300 ou 400 km dans la
journée en automobile, pour visiter un chantier ou effectuer une partie de
chasse dans des criques sauvages, était un bonheur, rien à voir avec mon
tourisme actuellement hexagonal à bord du camping-car qui m'épuise au bout
de 50 km. N'ayant pas de bateau, je pratiquais la chasse à pied comme au
temps de ma première jeunesse et les tableaux de chasse étaient donc,
somme toute, modestes, hormis quelques beaux spécimens. J'ai retenu
essentiellement la découverte de deux belles amphores au large de Tipasa
que je remis au directeur du site archéologique romain, c'est dire la
richesse du patrimoine antique de la région encore
inexploitée!
Mais l'appel d'Oran se fit entendre bientôt et je ne
pus y résister au bout d'un an, bien que la vie professionnelle fut
intéressante à Alger. La politique ne m'ayant jamais vraiment
intéressée, je ferais néanmoins la remarque suivante: mon séjour à Alger
sera le début d'une évolution de mes convictions politiques acquises
jusqu'alors. En effet, alors qu'à Oran en 1964, j'étais un jeune pied noir
vivant le début d'indépendance de son pays sous la domination de l'ennemi
de sa famille, supportable cependant, j'en conviendrais, je perçus mon
retour à Alger, après mon apprentissage d'autres pays du Tiers Monde,
comme la découverte d'un nouveau pays avec des us et coutumes différentes,
sur la même terre oû j'avais vécu différemment. Ce fut la meilleure façon
de faire le deuil de ma jeunesse perdue et de n'avoir jamais eu la
nostalgie, toujours présente de mes amis d'enfance, que la politique de la
chaise vide avait exilés à jamais! Le paysage, néanmoins, ne changera pas
tant que la main de l'homme ne le détruira pas et, en Algérie, la nature
n'est pas détruite, encore pour trois ou quatre générations, au-delà des
agglomérats humains, véritables poubelles de misère. Profitons-en, tant
qu'il en est encore temps! Je n'aimerais pas que la côte algérienne prenne
le chemin des côtes italienne, française ou espagnole, surexploitées. Elle
est encore dans sa magnificence ephémère en 2003. Mon retour à Oran fut
naturel, comme si je ne l'avais jamais quittée, la ville était restée
immobile depuis 1964, elle le restera tant que le Socialisme vivra, un
habitat laissé en l'état et s'étiolant inoxérablement faute d'entretien.
Le Boumedienisme triomphant laissa son empreinte seulement dans la zône
industrielle d'Arzew et le Complexe touristique des Andalouses dont je fus
l'un des derniers conducteurs de travaux avec 800 hommes à la tâche ainsi
qu'au Complexe thermal d'Hammam Bou Hadjar, oû je séjournais dans une très
belle villa coloniale nationalisée. Mes patrons furent les frères Zucconi
et mes collègues Guy Artigouha et Renou Alonso ,
autant dire que j'étais presqu'en famille et j'ai ainsi adoré mon retour
dans ma ville natale avec un job intéressant mais contraignant pour ma
passion de la mer si proche et si énivrante! Pour relancer ma quête, je
fis l'aquisition d'un glisseur acheté à Pierre Godet , le Saint-Pierre, ma
base fut le garage à bateaux de Cap Falcon, Ain Franin étant restée un
site de ruines pied-noires et ma chasse s'étendit de l'Ile Plane aux Iles
Habibas. Au début, je fus la plupart du temps seul, ou bien avec Hélène,
mon ex future ex, le temps de consommer définitivement les restes du
divorce, ou bien Pierre Godet qui m'accompagnait, mais lui n'était que
plongeur en bouteilles et formait avec Dédé Fédida et Marcel Souillah le
triumvirat de drague tout venant de l'époque. Ce fut en ce temps là
que, ayant retrouvé la forme des vingt ans et ayant l'expérience de
l'Africain des trente ans, je fis des chasses au gros que peu de personnes
savaient pratiquer. En effet je fus à peu près le seul à tirer et ramener
des gros requins ainsi que des liches magnifiques et je passais pour un
maboule à Cap Falcon. Il est vrai que ce fut la période la plus
poissonneuse que je connus dans ces parages quasi sauvages que ce soit au
Seco Blanco ou au Seco Negro de l'Ïle Plane ou bien au "Balcete" à l'Est
comme aux récifs de l'Ouest des Habibas et, dans une moindre mesure et
plus près, le sec du Campanal devant Ain El Turck ou les tombants des
ilots du Chameau et aux Rats et des caps Gros, Lindles, Negre, Blanc sans
omettre les Fourmies. Ils étaient fantastiques les ballets de sardines
chassées de toutes parts, en dessous de la surface par les dauphins, les
requins, les thons, les liches, les bonites, les brochets, au fond par les
dentis, les méros, les badèches et les veaux marins, et dans les airs les
mouettes, les goélands, les cormorants, les fous de bassan. C'était la
curée et l'homme vint déranger...Il n'y avait encore que très peu de
prédateurs humains à embarcations à moteur hors bord rapides, avec des
treuils et moulinets, des lignes en nylon, des leurres tueurs, des filets
imputrescibles, des nasses, des explosifs ou des harpons, sans omettre les
radars, les sondeurs, les sonars, les GPS, les projecteurs, les bulletins
meteo et parfois des bouteilles d'air comprimé et je ne parle pas des
chalutiers et autres lamparos. Ainsi, je vis par mes yeux la fin
programmée de cette richesse de vie en seulement vingt ans.
Afin
de pouvoir maîtriser mes loisirs, j'entrepris alors de m'installer à mon
compte, en créant une petite entreprise de Travaux Maritimes, avec les
conseils éclairés de mon ami André Féral, alors négociant en vins. Je fus
hébergé naturellement chez Tonton Alfred Ruis au 40 Bd Emir Abdelkader, et
mes compagnons de chasse furent à nouveau Paul et Michel Ruis, auxquels se
joignit Jean Marc Avérous, les deux Pierre s'étant rapatriés avec leurs
épouses et enfants, because le travail peu rassurant pour l'avenir des
familles. Ce fut l'équipe de base de cette longue saga de ma génération,
mais j'eus de nombreux compagnons et deux compagnes de pêche à cette
époque, parmi la troisième génération constituée de jeunes de la diaspora
pied-noir, de jeunes enseignants européens en coopération et déjà la
relève de jeunes Algériens, accédant de plus en plus nombreux à la quête
du Grand Bleu qui deviendra le symbole de fraternité ici entre les gens de
la côte de tous bords. Je citerai donc mes compagnons de cette nouvelle
génération: Alex au nom russe imprononçable et aux tics violents,un
artiste pianiste, Jean-Marc Luciani, le Corse, Norbert Dolon, le fils du
Capitaine de l'Espadon, Guy Bonifacio, Jean Lecaroz, le riche aventurier,
pirate des temps modernes, Marc Bèserie et Françoise, les Wallons
navigateurs, Néral, futur Consul de Norvège, Paul Rodriguez, Kader
Benameur, Nourredine Salah, les Seigneurs des Corailleurs, Les enseignants
Francis Lasserre, victime des Habibas, Jean François Sini et Christiane,
le couple plongeur (j'ai participé au baptème de plongée en bouteille de
leur toute petite fille, Julia, alors agée de trois ans dans une crique d'
Ain Franin), Raymond Col de Lyon aux mains magiques, faiseur de voiliers
transocéaniques, Larbi Ramoun et les 3 S, Christine, la magnifique
scaphandrière, Djamel, mon ami mort à l'Ilot d'Arzew, Alain Beaulieu, un
sacré chasseur,(une journée-record de chasse avec lui: trois méros de 21,
23 et 26kg au Fauteuil entre Madagh et Bouzadjar), Paul Boeuf,le
spécialiste du denti, mort accidentellement à Perpignan, Daniel Belasco,
plutôt de ma génération, "Mucho CRICRI, poco CRACRA", Charles Dragutin,
mon petit cousin, Marc et Alain Pérez, les fils de mon ami Henri, Franck
Rodriguez, Jeannet et Alain Muller, Eric Jariel.Puis ce fut la déferlante
algérienne avec Méhadji le Président, Mohamed Kerdagh le génial Grand Bleu
mais hélas imprudent à jamais, Ferhat Ghomari le Lieutenant, Lambri le
célèbre conteur des Frères de la Côte de Cueva del Agua, Yahia Ferroui,
Djillalli CSASO, Sid Ahmed Bensmaine, Habib Bengonaye, le Phénicien Larbi
Bouterfas et les fameux Karim Adéida de Sassel, Djelloul le scaphandrier
du Port et au fusil à tirer dans les coins, Driss toujours le meilleur à
Oran, Abderrahmane disparu en mer mystérieusement, Karim Dida, Kouider
Benaboura, Goudjil, Habib dit Salpa, tous champions d'Algérie à leur tour,
sans oublier notre petite sirène Nacera, oh combien tchacheuse, et cela a
empiré avec l'âge! et, comme seul mauvais souvenir celui que j'ai nommé
Ras Zebi. J'eus le privilège d'être avec quelques autres, pour cette
nouvelle génération, le témoin et le relais de toute cette symbolique,
entourant la fameuse épopée sous-marine des hommes, révélée au public par
le film du MONDE DU SILENCE (il faut rendre à COUSTEAU ce qui appartient à
COUSTEAU) et sacralisée par le film du GRAND BLEU de BESSON, tout comme
l'ODYSSEE et l'ILIADE d'HOMERE et VINGT MILLE LIEUES SOUS LES MERS de
JULES VERNE avaient été les bibles de mon adolescence. Je devins pour
cette génération, au fil des années à ORAN l'Ancien que l'on respecta,
protégea et écouta et ce statut informel fut vraiment l'accomplissement de
ma destinée. J' en ai chaud au coeur quand j'y pense encore! C'est mon
Panthéon!
Histoires d'eaux: Ma pêche au gros, Ile
Plane, le 28 Juin 1971, 6 heures du mat, au Garage à Bateaux, un lourd
brouillard de silence dans la baie, Mimoun descend le ST Pierre sur une
calmasse de rêve, j'embarque et navigue d'abord lentement cap sur
l'Aiguille pour me dégager des terres à peine visibles, puis cap, plein
gaz, sur l'ile Plane. Je veux être à palme d'oeuvre tout juste au lever du
soleil. Sous un ciel de coton, la mer est lisse et endormie à mon arrivée.
Je constate que le courant ne s'est pas levé et j'ai le temps d'ancrer à
l'Ouest, entre les cailloux,(pas question de faire tourner le moteur, un
silence absolu est nécessaire) et de m'équiper avec la grosse artillerie,
arbalette de 1.1 à double sandows et moulinet plus la bouée. Un couple de
cormorants sont là en face sur un rocher, scrutant l'horizon, c'est un bon
signe! Je glisse dans l'eau et me dirige doucement vers le large du côté
Ouest, les premiers rayons s'élèvent à l'horizon et un essaim innombrable
de goélands surgit, on ne sait d'oû, et pourfend la surface juste à une
cinquantaine de mêtres devant moi, un nuage d'anchois affolés se réfugie
alors sous moi entre la surface et le fond à vingt mètres plus bas, et
c'est aussitôt l'attaque de toutes parts des marsouins, des thons énormes
et un peu plus bas le banc des brochets et des liches, seul gibier à ma
portée. Je me porte très silencieux à l'extrémité du tombant oû je
descends comme une feuille morte sur mon poste d'affût habituel sur un
plateau à 15 mètres, oû les liches sont tranquilles et broutent à vingt
mètres de moi. Je ne fais pas cas d'elles, évitant de les regarder et
m'intéresse plutôt à un gros méro m'observant un peu plus bas, mais c'est
une tactique destinée à tromper les liches, le méro pouvant attendre
devant son logis. En effet la plus grosse, alors, se lève et se dirige
sans crainte sur mon côté gauche, suivie un peu plus loin par toute sa
famille. Je la lorgne du coin de l'oeil et attends qu'elle soit à deux
mètres pour retourner ma pointe vers elle et, la laissant s'écarter devant
ma réaction, je lui envoie mon tir en plein dans la ligne jaune à
l'arrière de l'ouie. La flêche l'a paralysée sans la traverser. Je fonce
alors vers elle, la saisie à bras le corps avec une main dans l'ouie et
l'autre lui pinçant les yeux, je la remonte précipitamment vers la surface
et la bouée. Elle est magnifique, mais sa famille a disparu, par contre,
le gros méro est resté en bas, impertubable et toujours curieux de mes
agissements et m'attend, semblant me narguer avec ses nageoires ondulantes
et ses yeux de pachiderme tranquille. Je décide une descente à la coulée
droit sur lui et au palmage cessant dès les dix mètres atteints. Méfiant,
il bat en lente retraite pour rejoindre son antre, mais je continue,
pariant sur sa curiosité imprudente. En effet, je me positionne juste
au-dessus de son rocher, sans qu'il puisse me voir. Il me sent, je le
sens, et se demande certainement oû je suis passé. Alors, je vois sortir
son museau juste en dessous de ma pointe, je ne bouge pas, il se tourne
légèrement sur le côté, en levant un oeil vers moi, ce lui est fatal. Il
reçoit la flêche juste derrière l'oeil et s'immobilise, c'est alors facile
de l'extraire et le saisir par les yeux, pour le remonter. Intrigué par
mon manège d'accrochage du poisson, le troupeau est revenu, je réarme et
je fonce, par un canard vertical, carrémment sur elles. Elles restent sans
réaction, le temps que je decroche ma flêche sur la deuxième liche, plus
petite mais très batailleuse, car je ne l'ai pas tuée sur le coup bien que
traversée. Elle a de la force et m'entraine, je suis obligé de lacher du
fil pour me permettre de respirer. Calmement je la travaille de la
surface, tout en me maintenant avec la bouée. J'ai laché vingt mètres,
mais je l'empêche de se frotter aux roches pour se défaire du harpon, je
la fatigue, enfin je la hale par paire de mètres, de temps à autre elle
repart, puis c'est fini, elle est épuisée et je vais la chercher à une
dizaine de mètres pour la saisir.Je ne suis pas encore revenu à la surface
quand j'entend un vacarme énorme, une sorte de roulement de tambour, je
redresse la tête et j'aperçois, majestueux et fonçant sur moi, un Yellow
fish, un thon à épine dorsale jaune, magnifique, énorme, il doit faire
200kg, et brusquement il s'en repart. Mais il n'est pas question
d'envisager de tirer une telle bête avec mon modeste attirail, il n'y a
qu'une ligne de 400 mètres sur une embarcation légère pour pouvoir en
venir à bout et au bout de combien d'heures de travail!!! Confert "le
Vieil homme et la Mer" de HEMINGWAY. Je n'ai pas fini de digérer cette
émotion, que, soudain, apparait une triplette de gros requins gris qui se
mettent à m'entourer calmement. Depuis le Golfe de Guinée, je n'avais
plus été à pareil fête, on pourrait croire que je bluffe, mais non je ne
crains pas les requins. Car, dans ma chienne de vie, j'en avais cotoyé
déjà des centaines et tiré quelques dizaines. C'est pourquoi j'en veux à
certains, et non pas des moindres, qui les font passer pour des bêtes
horribles et sanguinaires. N'est pas requin, celui qu'on pense! Epèces
d'enfants de pub, va! voir la Compagnie des "Requins Associés" ou les
"Dents de la Mer". Mais, pour l'audimat et le fric , il faut du
sang! C'est tellement rare, ici, en Méditerranée de chasser du requin
qu'il fallait que j'en tire un, juste un seul. Je crochette mon moulinet à
la bouée pour me donner le moyen de me battre à force égale. Ils sont
devant moi et longent le tombant vers quelques dix mètres. Je les suis,
ils ralentissent. je sonde alors sur le dernier, qui semble se retourner
vers moi. 5,4,3,2,1.5 mètres, je tire sur sa branchie droite, la flèche
s'accroche fermement, il faut l'empècher de démarrer. En effet il semble
sonné au début, juste pour me donner le temps de remonter à la bouée tout
en maintenant le fil tendu. C'est alors qu'il se réveille et démarre
puissamment droit devant lui. Je suis cramponné à la bouée, je fais de
l'aquaplane. Il cherche à sonder, je tire la bouée vers le haut à coups de
palmes puissants. Il ne peut m'enfoncer guère plus de 1 mètre sous la
surface et je ne lâche pas. A ce jeu, il renonce, je refais surface mais
il repart à nouveau, et renonce et ainsi de suite jusqu'à épuisement. Le
combat a duré une demi heure, et seule, son inertie me peine à revenir au
bateau avec la bouée, les trente mètres de bout et le poisson. Je monte à
bord et, avec le crochet, je lui saisis la queue pour définitivement le
noyer et le ligoter sur l'arrière, tête en bas. la chasse est terminée. Le
St Pierre a son compte, car il y a, avec ces quatre pièces 290 kg de
charge plus bibi qui fait quelques 90 kg et l'attirail. La partie de
pêche n'avait duré que deux heures, plus une heure pour atteindre le
garage vers onze heures. Mais le plus dur fut quand il m'a fallu monter à
pied, ou plutôt à brouette, cette pêche, en haut, vers ma 403 camionnette!
Je n'avais pas, cette fois-là, l'âne des Corailleurs!
Le veau marin de l'Ile Plane, En Algérie, j'ai eu une
relation particulière avec les veaux marins. Depuis le bébé phoque de la
deuxième descente du temps de mon père et la famille nombreuse de Cap
Figalo, turbulente au possible, dans les années 50, je rencontrais des
solitaires pratiquement à chaque sortie sur les Caps que ce soit à l'Ilôt
d'Arzew, le Cap Carbon, le Cap Ferrat, la Pointe de l'Aiguille, le Cap
Roux, les Iles Habibas, Le Cap Blanc ou la famille de Madagh et même, vrai
de vrai,dans le port d'Oran, que je dérangais lorsque j'avais quelques
travaux à faire au niveau du môle de l'horloge oû il avait un refuge au
sus et à la barbe des dockers et qui se permettait de venir discraitement
se sècher au soleil du petit matin sur la panne de Phénicia, notre club
nautique. Je croyais alors que ce mammifère marin était inoffensif bien
qu'emmerdant, lorsque nous avions du poisson à la ceinture. Il arrivait de
se faire piquer des pièces à la bouée ou même au bout de la flêche, comme
c'était arrivé à mon père au Cap Roux. Mais le phoque moine de l'Ile Plane
allait à cette époque me prouvait le contraire et désormais il deviendra
avec la vive, petite vipère des fonds sableux, la bête à éviter, la seule
que j'eus crains dans ma longue carrière sub.A plusieurs reprises, je l'ai
échappé belle avec les araignées, mais quand on voit son propre père ou un
grand ami quand Pierre Avérous souffrir "le martyr" à cause de ces sales
bêtes on en reste traumatisé! En l'année 1972, je fis l'aquisition de
la Bételgeuse, un magnifique palangrier de 8 mètres, construit à l'Ecole
de Pêche de Béni-Saf, dont le directeur était un certain Charly Dragutin,
pour le compte de Midjaki, un pêcheur légendaire du cru, et transformé,
mijoté par Jean Gomez en un beau fifty, un belle unité avec lequel il fit,
avec les frères Jariel, de grandes épopées de chasse habibabesques. Mais
notre équipe n'était pas faite non plus de manchots et nous fîmes
avantageusement honneur à ce bateau célèbre entre tous! Ainsi un parmi
tant de safaris que firent JM Averous, Michel, Paul Ruis et moi même, ce
fut cette dramatique sortie sur l 'Ile Plane un jour de mai 1972. Ayant
fait le tour de l'île à la nage et me retrouvant seul, les copains ayant
déjà rejoint le bateau, je repérais un méro dans l'abri de l'île et je
voulus l'épingler à ma ceinture de chasse déjà pleine. Pour pouvoir le
travailler au trou, je dus déposer mon accroche-poisson sur un rocher
proche. Ce n'était pas profond, et je fis ma première apnée devant
l'entrée de l'abri de mon méro, torche en main. Je le distinguai à peine
et je dûs remonter, mais au moment oû je me dégageai de l'entrée, je
sentis un choc violent sur ma cuisse gauche. Je vis sur la combinaison
néoprène une déchirure conséquente et du sang jaillir du quadriceps, se
diluant dans l'eau, sans cependant ressentir de douleur. Je remontai, mais
soudain, proche de la surface, une masse énorme se jeta à mon cou, j'eus
le reflexe chanceux de pivoter avec mon coude en appui sur la bête et
éviter l'attaque. En surface je pus enfin me rendre compte à travers mon
masque de ce qui se passait. A quelques mètres de là, en contre bas, le
veau marin, surpris s'éloigna un peu, mais je tremblai alors de tous mes
membres lorsque je le vis amorcer un retour vers moi et lancer une nouvel
assaut. Face au danger, je repris aussitôt mes esprits et armé de mon
arbalette, heureusement, je fis face. Il arriva sous moi me fixant de ces
yeux glauques, que je n'oublierai jamais. J'attendis qu'il fusse à 1 mètre
de ma pointe pour lui décocher la flèche en pleine poitrine. Il stoppa net
et je n'oublierai jamais non plus la gueule humainement choquée qu'il fit
en entrouvant ses machoires. Il brisa le filin en s'enfuyant vers le fond
du large. Je pissais le sang et il y avait urgence à rejoindre le bateau,
ancré à quelques centaines de mètres de là. Mes camarades s'aperçurent que
j'avais eu un problème car ils me dirent en arrivant qu'ils avaient vu
quelque chose à quelques trois cent mètres faire des bonds au dessus de la
surface, en poussant des cris stridents, avant de disparaitre sous la
surface. Ils m'aidèrent à me déshabiller, me firent un garrot et fermèrent
la plaie avec un pansement. La blessure bien qu'impressionnante, une
déchirure de 8 cm n'était pas profonde et aucune artère n'avait été
atteinte, une grosse morsure de chien en somme! J'ai toujours gardé en
mémoire cette incident et surtout ces yeux sous-marins et, si ce n'est que
j'excuse mon geste par l'instinct de survie que je m'étais forgé au cours
de ma vie sub, j'en ai gardé un fond de remords d'avoir assassiné mon
frère sans toutefois l'avoir prémédité et j'en voudrais désormais à tous
les prédateurs des mammifères marins. Un mois plus tard un cadavre de veau
marin jonchait sur la plage des Corallès comme pour montrer aux Terriens
la destruction de la mer vivante par la colonisation des hommes. Cet
incident fit le tour de la Terre à cette époque, je ne sais comment et un
organisme canadien me demanda de faire un rapport sur la population des
phoques moines en Algérie. Ce que je sais maintenant, en 2003, c'est qu'il
n'y a plus un seul phoque vivant sur la côte Ouest d'Oranie, mais sa
disparition a pour cause principale la présence des filets tueurs sur tous
les sites côtiers. Je sais de quoi je parle, car depuis l'existence de ces
filets plastiques, j'ai vu à plusieurs reprises aux Habibas comme devant
certains caps côtiers des cadavres de mammifères dans les filets perdus au
fond par l'inconstance des hommes! Pour l'anecdote du veau marin,
d'aucun s'était demandé pourquoi il s'était attaqué à l'homme,
contrairement à ce que l'on croyait jusque là, et bientôt deux versions
circulèrent dans le milieu, l'une est que ce fut le combat entre deux
phoques moines et bien sûr solitaires, pour la conquête du territoire et
l'autre, un peu blessante pour ma pomme, ce fut que le veau marin en mal
de copulation me prit pour une femelle et alors ce fut plutôt de l'amour
vache, ouaf! ouaf! Il vaut mieux en rire qu'en pleurer! On guerrit ainsi
d'un traumatisme.
Les Iles Habibas. Elles ont eu un pouvoir
d'attraction extraordinaire. Temps permettant, les séjours week-end furent
fréquents. Nous partions le plus souvent en convoi à deux ou trois bateaux
et nous avions aménagé deux ou trois cabanes, vestiges que nous partagions
le plus souvent avec les pêcheurs professionnels de palangres et de
nasses. Parfois, les jours fériés, nous y bivouaquions deux, voire trois
ou quatre semaines, à trois ou quatre personnes avec une organisation
impeccable de survie. Pierre Godet, le plus fan, en avait été
l'organisateur et nous recevions d'autres qui venaient nous rendre visite
et rester un ou deux jours, attirés par notre vie de Robinson. Le noyau
principal, outre Pierre et moi-même, comprenait aussi Said, notre gosse
bon à tout faire mais grand tueur de "cahouettes" devant l'éternel, ces
oiseaux étranges qui ne sortaient que la nuit en poussant leurs cris
bizarres et épouvantables pour ceux qui les entendaient pour la première
fois : "caahouett, caahouett..."(traduction arabe de "fous le camp, fous
le camp". Ces oiseaux de légende ne sortaient que certaines nuits sans
lune et étoilées et chacun allait de sa théorie pour décrire leur aspect,
certains disaient que ces animaux étaient tout noirs et immenses, mangeurs
de rats et de lapins, seuls mammifères vivant sur l'île. Mais un jour,
Said, malin comme un ouistiti avec un cailloux, en déquilla un du haut du
rocher surplombant le quai et ce ne fut en fait qu'une vulgaire mais
délicate mouette toute blanche. Comme quoi il ne faut pas se fier aux
apparences. Les premiers colocataires furent André Fédida et sa promise,
Jean-Pierre Luglia et ses filles Marie-Hélène et Valentine, Michele et
Martine Regis ou bien parfois nous allions chercher nos petites
sauvageonnes comme Nebia, Miss Citrons, la cerise sur le gateau pour nous
autres, mâles en rut, sous le soleil de minuit de "Leila" Nous allions
pratiquement pendant toutes les saisons, lorsque l'Anticyclone des Açores,
notre maître-météo, s'installait pour plusieurs jours dans la
région. Aujourd'hui, nous sommes en début de fevrier qui est la période
de la ponte des mouettes, là-bas. Elles avaient, sur les îles, leur seul
ilot propice à cette ponte. Alors elles étaient des milliers à rester sur
place pour une dizaine de jours et à s'activer pour faire des oeufs dans
des nids, il y en avait des centaines et nous allions en cueillir quelques
dizaines pour les manger frais au début, les emporter à la côte pour ceux
qui y retournaient et on en cuisait beaucoup pour les conserver en glace
et en manger pendant une quinzaine de jours. Ils composaient le menu du
petit déjeuner à six heures du matin avec un bon café avant la pêche et il
n'y avait pas besoin de sel! . Mais après ces dix jours, il ne fallait
plus s'approcher de l'îlot aux nids au moment oû les femelles couvaient et
les mâles surveillaient leur progéniture. Si vous aviez l'imprudence de
gravir la colline de l'île à ce moment-là, vous risquiez d'être attaqués
et, croyez-moi, cela pouvait être dangereux, car elles y sont
véritablement furieuses et se projettent sur vous en effectuant des
rase-mottes et des piquets vociférants. J'en ai fait, en effet, l'amère
expérience un jour, heureusement la combinaison néoprène m'avait épargné
des griffures et... attention aux yeux, c'est ce qu'elles visent! Les
îles avaient leur sommet culminant à 150 mètres, oû nichait le phare et
ses dépendances, véritable château-fort dominant la baie de la Morte à
l'Est, le quai et les cabanons à l'Ouest. On y parvenait par un chemin
escarpé en terre dans les années 70 et à l'aide de l'âne que l'on sifflait
pour qu'il vienne chercher les marchandises, débarquées du navire des
Phares et Balises qui, chaque quinze jours, venait approvisionner l'équipe
des deux employés de service au phare et tous les deux mois assurer la
relève de l'équipe. Par la suite, comme on mangeait les ânes en Algérie,
il fut remplacé par un triporteur à moteur sur une piste goudronnée. Au
nord se trouvaient les restes d'un ancien cimetière américain qui fut
l'objet au cours des âges de fouilles importantes à la recherche de
trésors qu'alimentaient des légendes fantastiques pleines de "Djounouns",
racontées, parait-il, par des marabouts célèbres du nord au sud de
l'Algérie et que la rumeur colportait régulièrement et sournoisement au
point d'en être imprégnée par tout un chacun. J'avoue avoir été aussi
contaminé, comme on le verra par la suite, mais je ne regrette rien car si
on ne participe pas à cette étrange atmosphère de contes et de légendes
qui est présente dans tous les cercles de la Société Algérienne,
essentiellement chez les pauvres, on ne comprendra jamais l'âme de cette
nation et les riches de là-bas ne pourront jamais me contredire, parce
que, cette âme, ils l'ont irrémédiablement perdue par la jouissance de
biens matériels que leur ont apportée la civilisation occidentale jusqu'à
les rendre insensibles à cette spiritualité. Je viens d'apprendre que
le gouvernement a décrèté les Iles Habibas, réserve nationale et cela est
enfin une bonne action, j'en tire une grande satisfaction d'avoir
participé avec l' Association PHENICIA de mon ami Larbi Bouterfas à cet
aboutissement. Il faut voir maintenant comment ce décret sera respecté et
observé par tous et ceci est une autre histoire!