Le Golfe de Guinée
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Histoires d'Eaux






















Les années 1965/1969.
L'aventure professionnelle du Grand Bleu,
l’Afrique
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Douala, la perverse.

Un beau jour d’automne 1967, j’atterrissais à Douala, la Capitale commerciale du Cameroun, avec une équipe de six plongeurs de la Comex, pour participer à une campagne de forage en mer, à bord du Woodecoo V, une barge flottante et autonome de nationalité américaine. Cette campagne devait durer six mois sur le périmètre du Golfe de Guinée, entre le Cameroun Occidentale et sa Capitale Victoria , entourée par l’impressionnante forêt équatoriale, la Province du Biafra au Nigeria avec Port Harcourt sous la guerre et les massacres de la misère et l’idyllique île de Fernando Pô, le tout dominé par la majesté du Mont Cameroun, pointant son unique sommet à plus de 4000 mètres, la plupart du temps rendu invisible par sa  carapace de gros nuages noirs ou bien son rideau de pluies diluviennes .
Savez-vous que le Mont Cameroun est le lieu le plus pluvieux de la terre ?
La première semaine fut occupée à notre installation en ville pour nos futurs repos à terre, car le programme d'activités allait consister dans une période permanente de deux semaines de travail à bord de la barge pour passer ensuite une semaine de "
stand by", c'est à dire de récupération physique et morale à terre, et donc il y eut deux équipes à bord pour une à terre par roulement.
Nous étions logés dans quatre villas confortables sur l'une des deux principales artères de la ville et nous nous mîmes en tête d'embaucher des bonnes à tout faire pour nous rendre la vie plus facile et ce ne fut pas, loin de là, une corvée insurmontable
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Eh! petite tête de noeud! Si un jour, l'envie te prenait de faire un voyage exotique à la recherche de la paix de l'âme et du corps, évite Douala, sous peine de perdre tes bijoux de famille aussitôt débarqués.


La vie à bord
Mais revenons à notre mission: séjour de deux semaines à bord d'un "transat", aller-retour par hélicoptère, nourri, logé, tout compris, appareil photos et alcool interdits, de fumer aussi sur le pont, naviguant dans une mer du Sud, et payé en plus, bien qu'à tire boulettes, mais enfin! il y en a qui paient pour le Club Méditerranée. Le WoodecooV était très confortable, c'était un véritable navire de croisière avec un derrick en plus, nous avions même notre piscine, en fait le "Slot", un grand trou au milieu de la coque qui permettait le passage du train de tiges, le tubage et les différents instruments de forage ainsi que la cage à requins et notre matériel de plongées.
Lorsque nous ne plongions pas, nous étions confinés dans nos quartiers très confortables et très bien climatisés dans les profondeurs de la coque, car dehors, il faisait habituellement une chaleur torride avec un soleil de plomb sur des structures métalliques et la plupart du temps sans nuage, à plus de 60 miles de la terre, contrairement à la côte. La sonde était aussi désagréablement bruyante.
La vie était vraiment relax pour nous plongeurs. Comme la barge ne se déplaçait que chaque mois pour opérer un forage de prospection, dans le but de délimiter le périmètre pétrolifère, notre boulot était de contrôler, les deux premiers jours, l'ancrage dynamique de la plateforme et la base de travail au fond, après la pose du premier tubage guide et avant le lancement du train de tiges de forage. Pendant le temps de forage, qui durait en moyenne un mois, nous n'avions pratiquement rien à faire.
Ce n'était pas le cas des sondeurs qui trimaient H24 avec une équipe de jour et une équipe de nuit, mais ils étaient entraînés et bien payés. C'étaient des Français du Sud-ouest qui avaient la particularité, bien que braves types à la fière mentalité paysanne, de ne pas pouvoir sentir viscéralement les Anglo-Saxons, qui eux, condition sine qua non, détenaient généralement les postes de chefs, ingénieurs et instrumentalistes de la mission. Il y avait environ une trentaine de nationalités à bord pour un effectif d'environ 80 personnes et, croyez-moi, ce fut intéressant de vivre ce melting-pot: comment faire cohabiter des personnalités aussi différentes? impossible! L'appât du gain ou la peur de se faire virer pouvait faire contenir les tensions inter ethniques, surtout le repos bimensuel à terre calmait les esprits et les c... pour un temps, mais il était évident que personne ne revenait indemne de ces campagnes.
Un exemple parmi d'autres, le maître d'hôtel était Anglais, le chef cuisinier Nigérian. Le Nigérian avait un gris-gris, une queue de léopard qu'il gardait en permanence autour de la taille sous ses vêtements pour se préserver du mauvais oeil qui, disait-il, était partout sur la barge pour provoquer des accidents ou des bagarres. Il ne s'en séparait que la nuit lorsqu'il se couchait tout nu dans sa cabine pour la déposer sur sa petite table de nuit à ses côtés, après la prière. John, le British, l'athée, lui déroba un soir son fétiche, histoire de lui faire une farce. Lorsque Ali s'aperçut le lendemain de sa disparition, il eut le plus grand désespoir de la terre, il entra en transe, il partit en courant sur le pont et se jeta à la mer au beau milieu des requins. Je dus plonger tout habillé pour le récupérer et le hâler avec la grue de bord. Il voulait mourir. Lorsque John, tout surpris par cette réaction, disproportionnée pour lui et pour les Européens mais pas pour la dizaine d'Africains présents à bord, lui rendit son fétiche, il se calma momentanément, mais un instant plus tard, il prit un grand couteau à la cuisine pour égorger le coupable, la sécurité le désarma à temps et il fallut le renvoyer définitivement à terre et John dut quitter le pays de peur de représailles.
Un autre jour, il y eut un meurtre à bord mais je n'y étais pas.
Pendant le forage, les plongeurs n'intervenaient que si un outil tombait à l'eau ou si un câble se détendait. Le soir notre activité consistait, à la fraîche, de pêcher à la canne ou la ligne, c'était fantastique les coryphènes, les capitaines, les voiliers ou bien les requins que nous pêchions. En pleine mer, au bout d'une semaine, les environs du forage devenaient un véritable vivier! Les ordures ménagères, que nous jetions chaque jour par dessus bord, en étaient pour quelque chose et la chaîne alimentaire s'installait. Comme j'étais le seul chasseur de la barge, mon arbalète ne me quittant jamais lors de mes déplacements, et ayant à disposition le fusil à CO2 du Commandant, armé de têtes de flèche explosives et lorsque les piroguiers pêcheurs n'étaient pas passés pour échanger leurs belles langoustes et magnifiques crevettes impériales contre une poignée de dollars ou un quartier de viande d'Alaska congelée depuis 6 mois, que nous avions marre de consommer chaque jour, John me "commandait" du poisson, de 50 à 200kg et plus pour varier le menu du bord ou pour congeler et approvisionner les camps à terre. Selon les menus du jours et selon la commande, je m'équipais soit d'une bouteille et du CO2 pour "cueillir du gros", loches ou mérous de 5O à 300kg, espadons, requins ou voiliers de 100 à 200kg et j'avais la grue et les câbles à disposition pour charger la marchandise à bord, soit en apnée de surface avec mon arbalète, oû je chassais les coryphènes, les rouges et les capitaines de 5 à 10kg, les barracudas de 10 à 20kg.
Pendant le mois de forage, les plongeurs n'avaient que de rares occasions de descendre au fond, lorsqu'un outil était tombé ou lorsque le Superviseur nous donnait un ordre d'inspection en cas de baisse de pression des commandes hydrauliques. Nous avions à disposition une cage pour nous protéger des requins, particulièrement nombreux et impressionnants ainsi que des bécunes aux mâchoires puissantes et caquetantes, se déplaçant en bancs très denses, mais au fond, il fallait bien sortir de cette cage pour faire notre travail, alors nous nous sommes habitués à travailler sous cette menace, qui n'en fut jamais, et au bout du compte, nous ne faisions plus attention à eux, d'autant que la présence de mérous géants à nos côtés éloignaient les autres prédateurs. A plusieurs reprises, nous vîmes un mérou amorcer une attaque fulgurante contre un requin qui osait s'approcher d'un peu trop près. Un temps, nous fûmes dotés de pistolets à laser qu'un James Bond américain voulut nous faire expérimenter, mais nous n'eûmes jamais l'occasion de nous en servir! Nous avions une relation affectueuse avec ces mérous, chacun de nous avait sa copine mérou, sa "mère loche", à qui nous portions régulièrement un gros quartier de viande dégelée et il arrivait parfois, lorsque je me mettais à l'eau directement dans le slot sans utiliser la cage, que ma copine venait à ma rencontre presque à la surface et m'accompagner dans ma descente à -40/60 mètres et il n'y avait jamais la queue d'un requin en vue! Elle était tellement familière que lorsque j'étais occupé à serrer une vanne à plat ventre au fond elle se posait délicatement sur mes bouteilles et je sentais sa pression augmentait jusqu'à ce que, d'une tape sur sa nageoire, je la faisais dégager. Je dis bien mérou et non pas loche, car le mérou d'Afrique Equatoriale, semblable au mero brun de Méditerranée, est bien plus imposant que la loche, le mien dépassait les 300 kg, j'ai bien vu, lors de mes excursions dans des épaves du Golfe, des loches terrées dans les entrailles de l'épave et très craintives, elles avaient le museau plutôt aplati, vilaines et pesait moins, environ 150 à 200kg. Un autre jour que je tirais un rouge de 15 kg à l'arbalète, mon mérou le happa et l'avala avec la flèche, il m'a fallu lui donner de grands coups sur le crâne avec ma crosse pendant que mon binôme lui tirait la queue, pour qu'il consentît enfin à lâcher prise en envoyant un souffle d'eau puissant qui régurgita et le poisson et la flèche!
La troisième tâche à bord était ma spécialité en tant qu'ancien officier du Génie, elle consistait, lors du déménagement de la barge à la fin du forage, de "tuer" le trou de forage, en descendant à la main, la palme et la bouteille les 40 à 60 mètres d'eau et en introduisant très délicatement à près de 50 mètres sous terre dans le conduit une charge de 50kg d'explosifs très sensibles, qui était arrimée à partir d'une nacelle au bout de la flèche de la grue le plus loin possible de la barge pour la sécurité maxi des personnels, pas une cigarette, pas la moindre flamme ni étincelle, pas un appareil électrique allumé. Vous comprendrez que, dans ces conditions, j'étais la coqueluche de tout le monde à bord parce que j'avais le sang froid nécessaire à cette opération. Une fois le dispositif en place, je remontais à bord avec mes deux assistants de nacelle et les artificiers allumaient la charge, un champignon d'eau de 50 mètres de diamètre s'élevait de quelques mètres au-dessus de la surface, la terre soulevée par la charge au fond comblait alors le trou et c'était terminé, plus aucune trace si ce n'est des coordonnées géodésiques dans un fichier et aussi, hélas, la mort de tous les poissons aux alentours, c'était déjà spectaculaire avec les poissons de surface. Mais la mort au fond était invisible; afin de le montrer une fois, je descendis avec le câble de grue et remontai un mérou mort du fond; nous l'avions mesuré et pesé, il faisait 440kg pour 3.5m de long et des yeux, grands comme des soucoupes et morts comme un dernier reproche. Il est facile d'extrapoler tous les dégâts que l'on peut faire du fait des travaux industriels ou surtout des guerres à travers la planète dans le monde sous-marin et qu'il est trop facile de s'en prendre aux seuls chasseurs! Sacrés écolos! des anarchistes nihilistes, des hyènes hurlantes, oui!
Pour nous occuper pendant les temps morts, nous partions avec le commandant et l'équipage du Blue Fish, le supply boat, soit à Port Harcourt pour récupérer des réfugiés de la guerre et les emmener à Victoria sur ordre du gouvernement et de la Croix Rouge, ou bien nous partions faire le marché de fruits et légumes frais à l'île de Fernando Pô pour deux ou trois jours. C'était l'occasion de faire des ballades extra dans l'île en louant une mini à Santa Isabel, admirer les crabes multicolores des cocotiers et bananeraies, extraire des huîtres et coquillages à même les rochers et le sable, savourer ces fruits de mer ou bien respirer, au crépuscule et à la belle étoile, la fraîcheur d'un micro climat tempéré sur les pentes du volcan, enrobé de forêts vivantes aux parfums subtils et de clairières de fleurs aux couleurs chatoyantes, un véritable petit paradis pour nous seuls, cette île!

La vie à terre. Le piège de la débauche!

Le stand-by à terre, bien qu'intense en activités ludiques, ne me laisse à présent qu'un souvenir plutôt négatif. En effet la vie à Douala est spécialement axée sur le sexe, ce qui en soit n'est pas un mal, mais devient inéluctablement un enfer, quand elle devient luxure, par le mélange détonant alcool+fornicage, quand ne s'ajoute la drogue que je n'ai pas expérimentée ou quelque peu. C'est une affaire de climat, parait-il, là-bas et tout le monde b...et b..., les célibataires, les mariés, les males, les femelles, les pédérastres, les noirs, les blancs et les métis. Il y a des séquences formidables, mais il y a surtout des drames qui mettent à jour ce que chacun a en soi de misère humaine. La journée, il fait tellement chaud et humide qu'on la passe couchée et la nuit, c'est le règne de la boite et de la musique éthérée dans des salles enfumées, le contact humain poussé à son paroxysme. Notamment les couples mariés se liquéfiaient, car tout le monde trompait tout le monde, la blanche goûtait au noir, le blanc à la noire et tout cela faisait des métis, encore plus vicieux. Je dis un bilan négatif de mon année africaine équatoriale car je perdis et mon argent et ma santé au point d'en repartir rapatrié sanitaire et pourtant j'avais bien résisté à l'alcool du fait de mon activité professionnelle sportive, alors que d'autres, qui trimaient à la sonde, ont fini très mal ou foutus !!! Au fond, je fus content de terminer ainsi ma campagne d'Afrique, car ce fut un moindre mal par rapport à la déchéance du "Petit Blanc", vivotant dans une case, alcoolique au dernier degré et avec une ribambelle de petits métis déguenillés.

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FERNANDO PO








la Manta à Fernando-Pô


Fernando Pô
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