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L’aventure professionnelle du Grand Bleu
N'étant ni
nageur de combat, ni diplômé de plongées, je fus engagé comme dessinateur,
rattaché au projet de construction des deux premières cloches de plongée,
Pollux et Castor, qui allaient ouvrir la voie de la notoriété à cette
nouvelle Société, dans l'application de nouvelles technologies en matière
de recherche pétrolière Offshore et d'intervention humaine sur les forages
et les têtes de puits de pétrole dans le profond des mers. La Comex avait
aménagé un Centre Civil d' Expérimentation en Hyperbarie, unique au monde.
Et sous la houlette du Professeur Fructus, je servis, comme d'autres, de
cobaye comportemental en respirant des mélanges de gaz appropriés, hélium,
oxygène, azote puis hydrogène et en enfilant des perles sous des pressions
de 10 à 20 bars, soit entre 100 et 200 mètres de profondeur
correspondante, avec des paliers de décompression qui duraient de
nombreuses heures, alors que je n'avais encore jamais plongé en bouteille
en mer. L'occasion de faire mon baptême de plongée à l'air comprimé me
fut donnée rapidement, lorsque mon patron m'envoya avec une équipe de
scaphandriers superviser et contrôler le déroulement du lancement en
continu d'une canalisation de 13 km de déjection des boues rouges à l'
Usine Aluminium de Grèce dans le golfe de Corinthe à Delphes. L'opération
dura 48 heures en continu de plongées entre 30 et 70 mètres sans dormir ni
manger. Cela fut plus qu'un baptême sans école et sans diplôme. Quand je pense que maintenant, lorsque que je veux
plonger une demi heure à 20 mètres en plaisance, il faut que je présente
un diplôme de plongeur autonome avec 4 années de stages Padi ou CMAS!
Fallen Plums! Ma carrière de scaphandrier commença donc et ce
fut une série d'aventures à travers le monde avec des retours stand by
d'abord à Marseille, puis sur place dans les différents pays oû nous
opérions. Mes premiers chantiers fut la pose de pipes hydrocarbures
dans l'étang de Berre, puis dans les grottes de Sormiou à Cassis, la
consolidation de la canalisation de rejet des boues rouges de l’usine de
Gardanne contre les effets des fortes houles, à la brouette sous-marine et
au parachute.
Nous faisions de la spéologie à la fois souterraine
et sous-marine, à la Fontaine Lévêque dans les Gorges du Verdon, dans un
siphon aquatique de 400 ml de profondeur à l'intérieur de la montagne, en
remplacement de l’équipe Cousteau en échec, quand mon patron me fit
appeler pour une mission d'expertise urgente en Grèce. Une catastrophe
écologique était en train de se produire dans le golfe de Corinthe. Les
boues rouges toxiques de l' Usine Aluminium de Grèce commençaient à
s'étaler dans les eaux. Il fallait rapidement déceler la cause de cette
fuite et l'Usine était en arrêt forcé. Delauze me donna illico presto un
billet d'avion pour Athènes et des dollars et " démerde toi! "
Le lendemain, avec comme bagage, mon barda de parfait petit plongeur
mobile comprenant le sac complet de plonge, 2 bibouteilles corailleurs, un
compresseur Bauer 6m3,( je crois bien que ce fut une première dans notre
corporation), je pris l'avion pour Paris et ensuite pour Athènes. Arrivé à
l'aéroport, oû tout le monde parlait 36 langues, je louais une VW
Coccinelle, me faisais renseigner sur le parcours au syndicat d'initiative
du tourisme local, et en route par une nuit glaciale à l'assaut du mont
Parnasse, couvert de neige sous une tempête titanesque. A tel point que je
vis, dans mes phares embrumés, un loup énorme et fauve, en quête de
nourriture. Qu'il était beau! une bête magnifique, le premier loup que je
voyais, bien plus beau que nos gras bergers allemands ! Je n'en éprouvai
aucune crainte, tellement ma fascination était grande lorsque je descendis
pour mieux l'admirer. A deux pas de moi, il m'observa posément de ces yeux
lumineux et s'en retourna tranquille dans le ravin. A ce moment là, je
pensai à Zeus, le père des dieux Grecs et je me souvins aussi des chacals
de mon enfance qui, à force de les fréquenter, m'avaient guéri de la
crainte viscérale de l'homme et de l'enfant devant les bêtes dite
sauvages, et cet avantage me servira tout au long de ma vie
d'aventures. J'arrivai aux premières lueurs du jour à l'Usine,
construite au fond de la baie, au bord même de la plage, le spectacle,
"aux
aubes», était somptueux, l’eau d'un rouge écarlate, la neige tout
autour, sous le soleil du matin, et le pic du Parnasse face au golfe. Ce
jour-là comme tant d'autres à cette époque, il m'a manqué la pellicule
pour fixer à jamais ces souvenirs uniques. Et je dormis, quelque peu, dans
la voiture, en attendant l'heure du travail. A la réunion
extraordinaire du staff technique de l'usine sous la direction du PDG, le
problème me fut exposé et l'on émit l'hypothèse qu'un choc accidentel avec
un objet non identifié aurait pu occasionné la rupture de la canalisation.
Je fus chargé d'opérer des inspections dans la zone côtière jusqu'à 60
mètres de fond, mais on me mit en garde contre la toxicité dangereuse des
boues rouges "'aluminates de zinc" au contact de la peau, et des
muqueuses. Je me fis étancher à l'extrême de telle sorte qu'aucune partie
de ma peau puit avoir le contact avec ce poison et je camouflais ma bouche
et le détendeur de respiration avec du sparadrap. J'étais tel un
cosmonaute (les filles secrétaires grecques de l'usine me prenaient pour
James Bond, dont les films étaient in à cette époque, et voulaient
absolument m'aider à me déshabiller lors de mes retours, elles étaient
déchaînées, mais les mâles indigènes me faisaient le malo de
ojo). J'y opérais des plongées successives, à l'aveugle, durant
trois jours, dans une eau polluée, opaque, et dense, pratiquement de la
boue, mais je fus intrigué par la densité extrême de cette boue dans la
zone de marnage seulement et pourtant je ne décelai aucune faille, aucune
fuite. Je me désolais de découvrir aussi de gros espadons morts
empoisonnés. Au troisième jour, réunion générale, pour constater l'échec
de la mission et la consternation quant à trouver une solution. Mais je
leur exposais le fait que le dépôt des boues à la côte ne correspondait
pas à l'idée que la fuite puit se trouver forcément dans la zone côtière.
Je demandais alors à examiner les cartes météo du coin et le profil
d'installation de la conduite sous-marine. Il fut évident de constater que
les courants marins portaient systématiquement les déchets à la côte et
que la fuite pouvait venir alors de n’importe oû, le long de cette
conduite de 13 km, qui atteignait en son extrémité la profondeur de 300
mètres. C'était encore plus grave que prévu et dépassait la simple
inspection que j'avais faite. Mais la cause de la fuite annoncée troublait
une évidence, que je soulevais lors de l'examen des profils bathymétriques
du fond au droit de la conduite, car on remarquait dans la zone des 100
mètres une cassure du terrain qui de la pente douce passait à une
profondeur brutale de 110 mètres à 140 mètres en une trentaine de mètres,
en somme une petite falaise sous-marine. Comme c'était le seul accident du
terrain le long du profil de la conduite, on pouvait penser que le tube,
se trouvant dans le vide sur une centaine de mètres, pouvait avoir eu un
léger affaissement dans le temps et donc une cassure partiel à ce niveau
des 110 mètres. Sinon à fermer tout de suite l'usine pour des années et
relancer un canal neuf, il fallait inspecter cette zone comme ultime
recours, ce qui était possible en tant que simple inspection, mais jamais
scaphandrier au monde n'avait encore entrepris de tels travaux à cette
profondeur. J'eus l'audace de mentir et de dire que la COMEX avait une
cloche capable d'emmener des plongeurs pour effectuer des réparations à
100 mètres, elle n'existait alors que sur plan. Le PDG et les ingénieurs
me soumirent un marché d'intervention immédiat, je négociais sur le
conseil de Delauze par Tél. un délai de préparation, essai et transport du
matériel de trois mois. C'est ainsi que la Comex eut son premier gros
marché. C'était cela Delauze, en trois mois, il réussit le tour de force
de construire le matériel, d'expédier la cloche Castor et son supply boat
par cargo à Delphes dans les temps et l'opération de coffrage et soudure
en première mondiale réussit. La Comex de 30 scaphandriers devint alors en
quelques années une Entreprise immense avec plus de 1500 employés dont 300
scaphandriers opérant de part le monde, first in the world
de cette spécialité.
Je partis pour la Mer du Nord pour six
mois, rattaché comme plongeur de sécurité à bord de l'Orient Explorer, une
plateforme offshore opérant au milieu de la Mer du Nord avec comme base
logistique Lowestoft dans le Suffolk en Angleterre, puis ensuite
Rotterdam. La vie aurait pu être pénarde à bord surtout avec le stand by à
terre oû les filles foisonnaient à défaut des poissons, mis à part
quelques plies et tourteaux pêchés sous la barge, mais l'hiver dans cette
mer est terrible et nous avons eu souvent des pépins. Imaginez la tempête
avec des vagues énormes pouvant atteindre vingt mètres, le froid glacial
de l'eau à +4° et dehors jusqu'à -10°, les eaux au mieux vertes, sans
oublier les courants de 3 à 7 noeuds qui sévissaient toutes les 6 heures
aux marées montantes et descendantes, oû étais-tu, ma douce
et bleue Méditerranée! . J'ai retenu deux évènements principaux
parmi tant d'autres qui m'ont marqué là-bas. L'hiver 1966, Neptune en perdition, une tempête
extrêmement violente éclata et la barge ne put résister aux assauts des
déferlantes, nous dûmes remonter les quatre pieds de la barge en
catastrophe et nous pûmes la mettre en flottaison de justesse, sinon elle
aurait renversé avec la mort assurée pour tous. Un S.O.S fut lancé mais
aucun remorqueur n'avait pu contenir la barge et la ramener à bon port et
nous dérivâmes au gré des courants violents pendant trois jours. La
télévision mondiale avait annoncé notre perdition et mes parents à
Marseille me crurent mort. Mais la tempête se calma et les remorqueurs
purent nous retrouver, nous ramener au "drilling shift" et le travail
reprit. Nous prîmes un repos bien mérité à Lowestoft , à se saoûler et se
bagarrer avec les Britishs dans les pubs, because les filles qui
draguaient effrontément les French boys : "A nous, les Petites
Anglaises" . Mais je fis une connaissance sérieuse avec une
petite pharmacienne proche de mon hôtel et naturellement elle m'emmena
chez ses parents, c'était déjà une coutume pratique là-bas, les parents
préférant contrôler ainsi les fréquentations de leur progéniture
(je
suppose que je devrais bientôt le faire avec ma fille, ici!). Cette
commodité me servit grandement, le jour oû j'ai eu le seul accident de ma
carrière de plongeur. En effet, l'action de la forte houle au large
sapait, d'une manière constante, les fondations des pieds de la barge et
les plongeurs, en ces temps d'hiver, devaient, tous les jours, descendre
au fond pour consolider, au moyen de sacs de gravier et de béton, le
pourtour des socles, pour empêcher l'affouillement du sable qui risquait
de déstabiliser la plateforme et provoquer son renversement. C'était un
travail de bagnards de manipuler au fond des sacs et des sacs pour en
faire un mur chaque jour. Ce n’était vraiment pas un bon concept de
construction, sûrement conçu par des ingénieurs terrestres ne connaissant
pas la mer. Mais, ce qui était très dangereux pour nous plongeurs, c'était
la descente, au moyen d'un ascenseur à claire voie, depuis la barge à 20
mètres au-dessus de l'eau vers le fond à -40 mètres en traversant le point
critique, c'est à dire le franchissement de la surface de la mer, au
moment oû une grosse vague venait frapper le bastingage. La commande de
descente était actionnée depuis le desk sur la plateforme et sans tenir
compte de la houle. C'était idiotement dangereux et ce, qui devait
arriver, arriva. Poséidon avait décidé de me frapper et une grosse vague
me happa dans la cage et me projeta violemment contre la paroi et je
disparus sous les eaux. Mon binôme Philippe Siallelli eut le réflexe de se
jeter immédiatement à l'eau et me découvrit aussitôt au fond sans
connaissance. Il me ramena sur la barge et après les premiers soins du
docteur de bord, je fus transféré par hélicoptère à l'hôpital de
Lowestoft. Diagnostiqué avec trois côtes cassées et sur l'insistance de ma
belle fiancée, je me réfugiais chez elle pour jouir d'une convalescence
bien méritée de trois semaines. " Le repos du
guerrier" Le terme de mon affectation à Lowestoft arriva, je
devais rejoindre Orient Explorer en réparation à Rotterdam pour quelques
inspections de la coque et puis prévoir mon départ définitif du nord pour
le sud: l'Afrique. Les adieux furent émouvants, mais bien que nous
ayons beaucoup d'affection, nous dûmes accepter cette séparation
définitive avec lucidité sachant bien qu'un univers séparait un vagabond
célibataire d'une gentille bourgeoise. Nous avions pu néanmoins profiter
l'un de l'autre quelques mois et le plus important aura été de garder un
tendre souvenir de l'autre. Pour l'anecdote,
Jackie ne parlait pas un mot de Français et moi pas un mot d'Anglais. Elle
m'apprit cependant le peu que je sais, étant donné que, bien que j'ai eu à
travailler souvent avec des Anglo-Saxons, il ne me fut jamais possible
d'entendre l'Anglais, j'ai su tout seulement en comprendre l'écriture, ce
sera toujours ainsi. Le prof d'Anglais de ma fille n'est pas arrivé à
comprendre cela, lorsqu'il me convoqua pour se plaindre de la faiblesse de
ma fille qui a, hélas, hérité de mon infirmité. Il ne comprend pas qu'elle
ne pourra jamais apprendre l’Anglais oralement, je lui ai demandé de faire
un effort particulier pour écrire en même temps sur le tableau noir que
son cours magistral,"hada makane, all is it!", mais c'est trop lui
demandé, n'est-ce pas?
Profession:
SCAPHANDRIER
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